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Les 20 kilomètres de Lausanne, retour sur la première édition d’une course pas comme les autres

En 42 ans, les 20 kilomètres de Lausanne n’ont rien perdu de leur souffle! Initialement nommée «course populaire du CIO», «marathon populaire de Lausanne» ou encore «course pédestre populaire», l’histoire des «20 kils» a de quoi nous tenir en haleine!

«Comme à pieds nus»

En 1982, il est une «pantoufle» qui fait parler d’elle à Lausanne. N’allez pas penser à celle que, peut-être, vous aviez achetée jadis pour sortir de la douche et que vous avez ressortie pour rester relax et à la page depuis le déconfinement. Non, il ne s’agit pas de la fameuse claquette à trois bandes sortie en 1972, mais de la basket modèle Gazelle, en cuir velours rouge, qui fait déjà sa publicité dans la Tribune de Lausanne – Le Matin de 1974 sous le titre «Comme à pieds nus»: «Le confort maximum pour l’entraînement, le sport à l’école ainsi que les loisirs, c’est sans conteste dans une pantoufle Adidas que vous le trouverez». Survolant la Cathédrale, elle se retrouve en très bonne place sur le photomontage réalisé pour l’affichette et le prospectus de la première édition de la course des 20 kilomètres de Lausanne. La chaussure s’inspire de celle portée par Jean-François Pahud qui a prêté son pied au graphiste, le franco-polonais Michel Jazy (témoignage de J.-F. Pahud dans le documentaire «Du stade à la cité» sorti en 2022). Stars dans leur discipline, les deux athlètes, le premier entraîneur national, le second fort de 9 records du monde, se côtoient entre autres dans le «Spiridon-Club», un mouvement international en faveur de la démocratisation de la course à pied, né dix ans avant la première édition des «20 kils». Ancien typographe pour le journal L’équipe, Jazy est engagé par Adidas pour la promotion de la marque et il a parrainé la première édition des 20 kilomètres de Paris en 1979, une des courses qui sert d’exemple aux Lausannois, à commencer par Pahud.

L’ancien directeur du Lausanne-Sports club omnisports et futur conservateur du Musée olympique, J.-F. Pahud, occupe le poste de directeur technique au sein du Comité d’organisation de la première édition de la manifestation qui a lieu le dimanche 6 juin 1982. Dans la séance de bilan tenue par le Comité, au chapitre de la «promotion», «il est rappelé le problème de la pantoufle Adidas. En plus, il est constaté que notre prospectus ressemblerait trop à un document BCV, ce qui a certainement créé une confusion; il devrait avoir un caractère plus officiel avec éventuellement les armoiries de la Ville sur la couverture». Pahud mentionne également les anneaux olympiques dans ses notes. Et pour ce qui est de «la presse» en général, les membres présents regrettent vivement que «les journaux locaux et notamment la Tribune de Lausanne, qui patronnait ces 20 km de Lausanne, ne nous aient pas aidé d’une manière plus efficace» (procès-verbal du 18 juin 1982). Pourtant, les charges en matière de «propagande» dépassent les 15'000 CHF sur un budget total de près de 29'000 CHF (contre 1,75 million CHF en 2018). Et la course a bénéficié de la plume experte et inspirée d’Yves Jeannotat, rédacteur à la Tribune de Lausanne - Le Matin, qui n’est autre que le co-fondateur de la revue Spiridon.

Une course pour tout le monde

© AVL, C13, carton 142/4378, fourre «Presse»
Des coureurs et une coureuse! Photographie parue dans l'édition du 7 juin 1982 de la Tribune de Lausanne - Le Matin

Jeannotat, de concert avec les organisateurs, leurs partenaires, les participantes et participants, s’accorde à qualifier cette première course de réussite. Car, pour paraphraser la manchette du 24 Heures, cette course se veut et se révèle être bien plus qu’«une leçon de santé!». On sourit en lisant le rédacteur s’appliquer à rassurer les coureuses et coureurs débutants qui hésitent à s’inscrire en raison de la dénivellation: «à condition d’être normalement entraîné bien sûr, personne ne doit avoir peur de s’annoncer au départ de cette épreuve qui, pour tous et pour chacun, sera à l’origine d’un souvenir inoubliable» (encadré «Pas si difficile qu’il n’y paraît», TML, 12 mai 1982). Les organisateurs vont jusqu’à établir un communiqué de presse pour diffuser «quelques considérations sur le parcours»: celui-ci tient compte de la psychologie de l’effort; la course n’est certes pas plate mais ce n’est pas Sierre-Zinal! Lausanne pouvait déjà se targuer d’avoir vu naître la course pédestre la plus ancienne de Suisse, le «Tour de Lausanne» créé par le Lausanne-Sports en 1921, mais qui était réservé aux licenciés du club. Avec cette première édition des «20 kils», l’élite fait place à Monsieur et Madame Tout-le-monde (et leurs enfants!), à qui l’occasion est donnée de «manifester de façon active son penchant pour le sport», qui plus est le «sport de base» (Léon Beck, «Olympisme populaire», Le Matin, 5 juin 1982). Force est de constater que cette cause ne fait pas d’emblée l’unanimité puisque les sections d’athlétisme des deux principaux clubs lausannois, le Lausanne-Sports et le Stade Lausanne, réservent un accueil plus que mitigé à la nouvelle de la création de la course et ne s’engagent que tièdement dans son organisation à la demande du Comité.

Pour Pahud, l’objectif est de «réunir une multitude de coureurs suisses et européens et leur donner l’occasion, comme cela se fait en tant d’endroits maintenant, de démontrer dans l’effort librement consenti que l’expression de la joie de vivre peut l’emporter sur la recherche de la performance chiffrée» (Jeannotat, «Après Berne, Lausanne organisera une grande course populaire», TLM, 2 décembre 1981). Jeannotat s’émeut de ce que la course sera l’occasion de voir un «fleuve» de «corps individuels disparaître au profit d’un corps collectif», ou quand «l’idole pâlit devant l’antihéros», comprendre les champions devant vous et moi qui apprenons à mieux nous connaître dans l’épreuve (TLM, 4 juin 1982). Et les organisateurs et leur mandant de faire référence aux valeurs du baron Pierre de Coubertin lui-même, comme le montre le prospectus de la course dans son préambule. Plus prosaïquement, il s’agit d’insuffler cette «olympisme populaire» à celles et ceux qui devraient se sentir les premiers concernés, à savoir les habitantes et habitants d’une ville, siège du CIO dès 1915 et désignée olympique le 25 février 1982 (promue «capitale olympique» en 1994). Les «20 kils» ne sont en effet qu’un événement parmi d’autres dans une année marquée par le sceau du rapprochement tangible entre la Ville de Lausanne et le CIO dans le prolongement du statut d’organisation internationale que les Autorités fédérales lui ont octroyé en 1981. Mentionnons au passage la première édition de la Semaine olympique, la nuit du Sport et l’ouverture du Musée olympique provisoire (notes de la séance constitutive du Comité d’organisation, 11 décembre 1981).

Une collaboration entre la Ville de Lausanne et le CIO 

De fait, le CIO et son président impriment leur marque à tout l’événement, le seul à bénéficier du patronage du CIO en dehors des Jeux olympiques. Grand ordonnateur, Juan Antonio Samaranch est présent au départ et à l’arrivée de la course au Château de Vidy, siège du CIO. Le prospectus montre une version caduque du parcours qui prévoyait que les concurrentes et concurrents passent devant la villa Mon-Repos, le premier siège du CIO et la demeure de Coubertin et sa famille à Lausanne. Le jour J, les coureuses et coureurs s’engagent dans la rue Caroline à la sortie du pont Bessières pour descendre la rue de Bourg. Samaranch lui-même est à la manœuvre pour: fournir des prix à faire pâlir d’envie (entre autre, deux voyages aux JO de Sarajevo et deux autres à ceux de Los Angeles, tirés au sort parmi les cent premiers adultes arrivés); démarcher le directeur de la marque à trois bandes pour obtenir la livraison de 3'000 sacs et 3'000 t-shirts; et tenter d’obtenir en vain la retransmission en direct à la télévision, sinon de la course, du moins du tirage au sort des prix. Se déroulant dans «les cases horaires dominicales», la course fait l’objet de «reflets filmés» diffusés dans l’émission «Actualités sportives» de la Télévision suisse romande qui ne montre aucune image des courses des écolières et écoliers. Le président du CIO attache justement une très grande importance à la participation de la jeunesse scolaire lausannoise et vaudoise, de sorte que le Comité d’organisation se prononce pour la gratuité de leur inscription et fait appel aux clubs et aux  maîtres de sport pour préparer les écolières et écoliers qui souhaitent participer, tandis que le Panathlon-club Lausanne décerne son prix à la classe la plus nombreuse à l’arrivée, une journée au Centre sportif de Macolin (archives du Service des sports, boîte 142/4378).

La collaboration entre J. A. Samaranch et le Comité d’organisation est donc étroite. Outre les personnalités bien connues que sont J.-F. Pahud et Jacky Delapierre, qui préside la Commission de promotion, il faut rappeler le rôle de Jean-Claude Rochat, le municipal en charge de la Direction des finances qui mobilise l’administration communale bien au-delà du Service des sports, le tout sur ordre de la Municipalité dès le 26 janvier. Non réélu, Rochat prend la présidence du Comité d’organisation qu’il quitte à l’issue de la première édition avec le sentiment du devoir accompli, pour devenir conseiller personnel de Samaranch en 1983. Avec l’appui du comité, Rochat ne ménage pas ses efforts pour que la manifestation soit en capacité d’accueillir les 4'000 à 5'000 concurrentes et concurrents souhaités par le CIO, même si le chiffre plus réaliste des 2'000 participantes et participants finit par être articulé. Au final, la participation s’avère honorable avec respectivement environ 1’000 adultes et 800 jeunes (contre plus de 24'500 participantes et participants en 2018). Alors que le CIO demande à la Ville de prendre la responsabilité de l’organisation de la course en janvier, rien n’a été prévu au budget communal à cet effet. Non seulement, la Municipalité accepte le principe de la gratuité des services communaux appelés à fournir des prestations en nature, mais elle accorde également une garantie de déficit à hauteur de 20'000 CHF maximum car, selon l’Inspecteur des finances «force est de constater que l’organisation d’une manifestation aussi importante est, en l’occurrence trop précipitée et que, dans ces conditions, les surprises de dernière minute sont toujours possibles.» Toutefois, et toujours selon lui, il est «indéniable» que cette manifestation «présente un intérêt touristique appréciable pour la Ville» (note à la Municipalité du 25 janvier 1982, archives du Service des sports, boîte 142/4378).

Une course effrénée et festive qui dure! 

On se plaît à relever l’absence de toute inertie administrative dans la prise en charge par les différents services des tâches qui leur sont dévolues. La gestion de l’itinéraire, du balisage et de la circulation, compte tenu notamment du maintien partiel du trafic des transports publics, mobilise tout particulièrement l’attention du Corps de police qui ne déplore aucun véhicule endommagé comme pouvait le laisser craindre l’ordre du service diffusé le 28 mai 1982 en référence à «l’esprit de ce genre de compétition de masse». À l’exception de l’usage de l’informatique, qualifié d’expérimental par le Comité d’organisation, ce qui entraîne un retard dans la publication des résultats, l’événement se déroule sans fausse note. On ne peut que saluer le caractère visionnaire de Jean-Claude Rochat qui ne doute pas que la course ne devienne «une ''classique'' des grands rendez-vous populaires» (procès-verbal du 18 juin 1982). Les «20 kils» viennent à point nommé concrétiser une politique de la Municipalité dans le domaine du sport établie dans un rapport-préavis de 76 pages le 18 décembre 1981. Toutes les composantes du sport y sont listées, en termes de moralité, de santé, de loisir ou de retombées financières. «L’encouragement à la pratique sportive est dû, pour une bonne part, aux constations alarmantes faites sur les conséquences de notre mode de vivre. […] En dehors de cet aspect médical, l’organisation des loisirs devient un problème complexe. Les composants sociologiques du sport contribuent particulièrement bien à sa solution.» Et de souligner la primordialité de maintenir le siège du CIO à Lausanne, sa présence constituant «un atout important pour notre ville, aussi bien sur le plan touristique que sportif».

Invité à la cérémonie de remise des prix, le syndic Paul-René Martin enfonce le clou en déclarant que «cette course scelle le mariage d’amour et de raison qui unit, dès lors, le CIO et la Ville de Lausanne» (TML, 7 juin 1982). Le maître de cérémonie n’est autre que le président de l’Association des intérêts de Lausanne, aujourd’hui Lausanne Tourisme, qui a accepté dès le 30 novembre que son institution assure le secrétariat de la manifestation. Avec des comptes bouclés à l’équilibre, les 29'000 CHF ne reflètent donc que partiellement les frais réels occasionnés pour organiser l’événement. Outre la BCV qui offre un soutien de 20'000 CHF, le Comité d’organisation a collaboré avec Rivella qui a obtenu l’exclusivité sur les quatre postes de ravitaillement, Omega pour le chronométrage et IBM pour l’enregistrement des résultats, et bien sûr Adidas, dont les recettes publicitaires sont estimées à 5’000 CHF par ce même comité. Au passage, on appréciera la photographie de la poignée de main entre Samaranch et le vainqueur masculin arborant son maillot à trois bandes, sans compter le prix Adidas offert à deux coureurs invités aux 20 km de Paris tous frais payés. À la fois modeste et ambitieux dans leurs objectifs, les «20 kils» ont incontestablement su s’imposer à Lausanne et plus largement dans un paysage de la course à pied en Suisse déjà dense. En effet, ils ne nécessitent aucune infrastructure sportive d’envergure et ils ont réussi à créer et fédérer un réseau de parties prenantes issues de milieux publics et privés autour d’une conception populaire et festive de la course à pied. Ils ont réussi à investir la Ville pour mieux la faire apprécier aux personnes qui la parcourent et celles qui les encouragent, et la faire découvrir à celles venues d’ailleurs, avec ou sans basket de marque, cela va sans dire!

Charline Dekens

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